L'observateur extérieur, lui ne voit dans la course qu'un geste banal qui n'a rien de passionnant : un simple moyen de locomotion.
Et pourtant je l'utilise comme le peintre utilise la couleur, le photographe l'appareil photographique, en essayant d'enfermer en moi une multitude de perceptions.
Quand l'ensemble est cohérent, j'éprouve du bien-être. Je sais que j'ai atteint un seuil confortable d'où peut sortir le "Je". Mon corps est d'abord seul à s'activer.
C'est la période où je rejette visages, odeurs et scènes négatives.
Je m'échauffe.
Puis je continue à courir, mais cette fois pour véhiculer mon esprit. Pour qu'il puisse mieux comprendre. Qu'il s'intègre à une région, un massif ou tout simplement à une saison qui commence.
On ne se déplace pas pour aller d'un point à un autre. Mais les secondes passées à courir ont toutes une saveur particulière. On n'a plus l'impression d'avoir en main une poignée de sable qui s'écoule de toute part.
On est le temps qui s'est blotti au creux du souffle chaud, qui va et qui vient comme le flux et le reflux le long des plages à la morte saison, qui rythme l'effort.
Métronome silencieux, il unit au battement de la terre.
Ne pas se crisper, se laisser aller.
Laisser aller le corps sans lui opposer la moindre résistance.
Partir courir en montagne.
Seuls les gens qui n'ont jamais couru ignorent combien cela est agréable. Seuls les gens qui n'ont jamais vu les montagnes ne peuvent savoir à quel point elles sont belles. Courir en montagne est un compromis harmonieux.
Distances et dénivelées s'abolissent. Le temps et le portage ne sont plus des facteurs limitatifs.
Vous partez deux à trois heures réaliser ce qu'il vous plaît. Que ce soit haut, que ce soit loin, quelle importance ? Vous adaptez votre foulée aux difficultés du parcours. Vous retenez votre respiration. Vous devenez perception, réception, sensation et audition. Vous êtes cinq sens à la recherche d'un sixième. Celui que seuls liberté et espace peuvent vous permettre d'acquérir.